XIV. TRANSFORMATIONS OPÉRÉES AU COURS DU SIÈCLE PRÉSENT DANS LE RÉGIME ALIMENTAIRE DOMESTIQUE

De Atlas Etnográfico de Vasconia
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Les enquêtes de terrain qui ont été réalisées pour ce travail contiennent les faits, données et souvenirs, importants du point de vue ethnographique, transmis ou vécus, que les informateurs ont gardés en mémoire. Dans de nombreux cas, cette mémoire permet de remonter jusqu’à des faits et des usages qui étaient pleinement en vigueur au cours des premières décennies du XXe siècle. À partir des informations apportées par ces enquêtes, nous allons nous efforcer d'offrir une synthèse des transformations qui sont intervenues, au cours du siècle, dans la culture alimentaire en Vasconia.

Signalons d'emblée que ces mutations, même si elles se produisent souvent en parallèle aux variations expérimentées dans les modes de vie traditionnels, ne se sont pas produites au même rythme et que leur implantation n'a pas été simultanée dans l'ensemble du territoire étudié. Selon les réponses obtenues, nous pouvons constater, au cours du siècle, deux moments où le changement s'est accéléré et est devenu plus évident. Le premier se situe dans les années vingt et trente. Pendant cette période, dans les localités proches des noyaux industriels, surtout de Bizkaia et Gipuzkoa, on observe la progressive introduction et propagation de nouvelles conduites dans l'alimentation familiale. En Navarre et en Alava, ce rythme de transformation est plus lent, en accord avec un processus d'industrialisation moins accusé. Toutefois, ce processus a connu un coup de frein avec la guerre civile de 1936-1939. L'après-guerre, c'est-à-dire les années quarante, s'est caractérisée par une pénurie générale d'aliments de base (pain, légumes secs, huile, etc.), qui a entraîné une ruralisation de la vie et un retour aux us et conduites antérieurs. Cette phase de stagnation s'est prolongée jusque dans les années cinquante.

Le second moment se produit dans les années soixante ; les processus de transformation du régime et des habitudes alimentaires retrouvent un rythme de changement qui va s'accélérer graduellement.

Ce processus se présente avec moins de discontinuité en Iparralde. Dans ce territoire, le tournant dans les conduites se produit à la fin de la seconde guerre mondiale (1939-1945). Toutefois, nous pouvons ici aussi constater que les changements propres à la société industrielle ont eu une influence plus précoce dans les localités de la côte que dans les régions intérieures de la Basse-Navarre et de Zuberoa où les comportements ont évolué plus lentement.

De la monotonie à la diversité

De façon générale, cette évolution correspond au passage d'un régime de monotonie à un autre de plus grande diversité dans la nourriture qui compose l'alimentation ordinaire. Certes, cette constatation concerne les classes populaires et les localités les plus liées aux modes de vida traditionnels dont les habitudes sont précisément celles que nous nous sommes efforcés d'analyser. Ceux qui disposaient de ressources plus abondantes ont toujours pu se permettre le luxe de fuir l'uniformité et d'acheter une large gamme d'aliments.

Dans un système d'autarcie alimentaire, le repas familial quotidien était constitué d'une seule préparation, ordinairement à base de légumes secs. On en tirait un bouillon pour la soupe, les légumes secs cuits et les ingrédients carnés utilisés comme condiment. Ce « plat unique » était parfois complété par un fruit de saison. La description que nous offre José Miguel de Barandiarán sur les repas ordinaires dans les fermes d'Ataun (G) au début du XXe siècle, reflète clairement ce régime alimentaire.

— Le petit-déjeuner consistait en un talo ou galette de maïs avec du lait. En hiver, on mangeait également des châtaignes grillées.

— Le repas de midi se composait d'une écuelle de bouillon, zuku, où l'on trempait le talo, qui était suivi d'un ragoût de haricots ou de fèves, une tranche de lard et un fruit de saison.

— Au dîner, on mangeait des pommes de terre bouillies, du lait avec du talo et, pendant les mois d'hiver, également des châtaignes grillées.

Ce régime de production autarcique a évolué vers un système d'économie interdépendante qui a entraîné une division progressive du travail. Parallèlement, la composition des repas familiaux s'est complexifiée avec la présentation de plusieurs plats élaborés séparément.

La comparaison diachronique des régimes alimentaires décrits à Izurdiaga (N) et à Zeanuri (B), généralisables sans doute à d'autres zones, nous permettent de constater cette évolution.

Année 1940 Année 1985
Izurdiaga. Navarre
Petit-déjeuner: Fèves ou pommes de terre bouillies. Café au lait, pain et biscuits. Marmelade.
Déjeuner: Plat de haricots rouges ou blancs avec chou ; frites avec tomate. Deux plats. Un de légumes verts, légumes secs ou salade. Un autre de viande ou de poisson.
Dîner: Ragoût de pommes de terre. Soupe, salade ou légume, jambon cuit et fruit.
Zeanuri. Bizkaia
Petit-déjeuner: Lait avec talo. Les hommes : lard, koipetsu. Pain de froment trempé dans le café au lait. Fruit.
Déjeuner: Haricots rouges ; lard ou viande séchée. Fruit de saison. Légume, pâtes ou salades et parfois légumes secs. Viande ou poisson. Fruit. Café au lait.
Dîner: Soupe à l'ail ou plat de pommes de terre et poireaux, porrusalda. Châtaignes cuites et lait. Soupe. Omelette ou poisson. Fruit. Lait.

À cette diversification des aliments ont contribué divers facteurs, tous liés au progrès économique et technologique. Signalons parmi eux la hausse du revenu familial due à l'expansion industrielle ; le développement du commerce de bouche qui multiplie l'offre de produits en provenance d'autres régions et latitudes et les nouvelles techniques appliquées à la transformation et à la conservation des aliments.