Élevage et activité pastorale. Évolution

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Une culture de longue tradition

Il y a un demi-siècle, Barandiaran observait que «la zone axiale des Pyrénées basques (et ceci peut s’étendre à l’ensemble des Pyrénées) conserve dans le dédale de ses replis certains traits culturels de très ancienne tradition»[1].

Cette culture trouve son expression la plus significative dans le mode de vie lié à l’élevage et à l’activité pastorale. C’est ainsi que, selon l’information apportée par la documentation historique, à la fin du Moyen-Âge les troupeaux des vallées basques se retrouvaient en été sur les mêmes montagnes qui, de nos jours, constituent les principaux points de rassemblement pastoral[2].

Mais le mode de vie pastoral rapporté sur ces documents médiévaux remonte à des temps bien plus lointains encore, comme nous le suggère l’aire de distribution des monuments préhistoriques de la région pyrénéenne.

Les baratz ou espil, cercles de pierre baptisés par les préhistoriens du terme breton de cromlechs, sont des constructions funéraires de l’Âge du Fer qui occupent dans les Pyrénées basque des plateaux et des cols situés entre les pâturages des deux versants de montagne. Ces monuments se trouvent dans la même zone d’activité pastorale estivale actuelle et jamais dans des endroits où ce genre de vie n’a pas été possible. Ceci suggère que ses constructeurs étaient des bergers et que la vie pastorale traditionnelle est un calque de celle qui a été pratiquée dans ce pays pendant l’Âge du Fer.

La même coïncidence de lieu peut être observée entre les zones pastorales actuelles et l’aire de distribution des dolmens dressés au cours de la période antérieure à l’Enéolithique et à la fin du Néolithique. Ce recoupement atteint un tel degré qu’on ne trouve pas de dolmens là où la nature du sol et les conditions climatiques ne sont pas favorables à l’établissement de bergeries[3].

Le maintien séculaire de l’activité pastorale dans les montagnes du Pays Basque peut aider à expliquer le fait que les désignations que reçoivent les différentes espèces de bétail, ainsi que l’outillage employé, composent un fond lexical propre et indépendant des langues indo-européennes qui gagnèrent cette partie de l’Europe au cours du premier millénaire a. C. C’est à ce fond non-indo-européen qu’appartiennent des noms d’animaux comme AHUNTZ, chèvre; AKER, bouc; ARDI, brebis; BEHI, vache; ZEZEN, taureau; ZEKOR, veau; IDI, bœuf; ZALDI, cheval; BEHOR, jument; URDE, cochon; AHARDI, truie; AKETZ, verrat; OR, mâtin; ZAKUR, chien[4].

Coincidencia entre áreas megalíticas y zonas de pastoreo según Barandiaran (1927). Fuente: Anuario de Eusko Folklore, Tomo VII. 1927 (Dibujo de Don José Miguel de Barandiaran).

Les dernières fouilles archéologiques[5] ont reculé l’âge de la Néolithisation de Vasconia, dont l’antiquité semble supérieure à celle qui lui a été attribuée jusqu’ici. Dans les Pyrénées Occidentales, la présence des animaux domestiques est documentée dès le dernier quart du Ve millénaire a. C., aussi bien sur les sites du versant océanique (grotte de Arenaza-B) que sur le versant méditerranéen (Peñalarga-A; Los Cascajos, Los Arcos-N). Les espèces domestiques de cette étape si précoce sont les ovi-caprins (les plus abondants) et les bovidés. Dans la grotte de Peñalarga (Alava), on trouve, outre la brebis (qui dans tous les cas est l’espèce la plus abondante), des bovidés et le cochon domestique.

Le régime traditionnel de l’activité pastorale

Le mode traditionnel de pratiquer l’activité pastorale et l’élevage en liberté du bétail s’est maintenu dans les zones où trois conditions sont réunies: l’existence de terres communales, le droit au pâturage de tous et la libre circulation des troupeaux.

Dans les régions montagneuses, les communaux ont toujours revêtu une grande importance dans l’économie traditionnelle des vi - llages environnants; c’est pour gérer cette jouissance commune que furent créées des associations ou unions, formées de plusieurs villages, comme celles de Sierra Salvada, Guibijo, Izki, Aizkorri (Parzonería General de Álava y Gipuzkoa), Enirio et Aralar, et des Bardenas Reales en Navarre. Les unions ou pactes établis entre des communautés des deux versants des Pyrénées eurent également la même finalité.

La libre jouissance des terres communales s’est maintenue en vigueur dans des villages qui, parmi elles, disposent de pâturages et de bois (hêtres, chênes, yeuses) traditionnellement utilisés par les habitants pour alimenter leur bétail (brebis, vaches et chevaux), et pour ramasser du bois de chauffage, de la fougère pour les litières du bétail stabulé ou des glands pour les cochons.

La libre circulation du bétail, historiquement, n’a connu d’autres limitations que les haies des terrains privés et les limites avec les communes voisines ou un communal appartenant à une autre association ou pacte. Le bétail avait même le droit de circuler sur les terrains privés, non clos par un muret ou une haie, dès que les récoltes étaient faites. La priorité de ce droit de circulation des troupeaux sur la mise en culture s’exprime dans la phrase suivante: Soroak zor dio larreari (La terre labourée a une dette envers le pré). Ce régime de pâturage est encore en vigueur dans certaines vallées pyrénéennes comme celle de Roncal (N).

Pérennité des zones de pâturages. Dolmen de Gaxteenia. Mendibe (BN), 1980. Fuente: Blot, Jacques. Artzainak. Les bergers basques. Los pastores vascos. San Sebastián, Elkar, 1984.

Un type d’élevage primitif, antérieur à la stabulation, consiste à laisser errer dans les montagnes, librement, les vaches et les juments dont le bénéfice provient uniquement de leur viande et de leur descendance. Ce bétail qui vit dans un état demi-sauvage porte sur son cuir la marque de son appartenance à une maison précise. Il est toutefois difficile de le considérer comme faisant partie du cheptel domestique et certains moyens employés pour sa capture en pleine montagne rappellent plutôt les battues de chasse, la capture s’effectuant finalement à l’aide de lassos ou de chiens.

Le mode d’exploitation du bétail, le régime de jouissance des pâtures et le type d’activité pastorale sont conditionnés par le climat et par la nature du terrain. Il y a deux mille ans, Pline (Histoire Naturelle IV, 10) faisait déjà la distinction entre le Vasconum saltus, humide et boisé, et le Vasconum ager, couvert de champs céréaliers et de vignes. Cette distinction qui, en termes généraux, coïnciderait avec les atmosphères humide et sèche de Vasconia et, de façon moins précise, avec ses versants atlantique et méditerranéen, est toujours valable en ce qui concerne le sujet du présent ouvrage.

Atlas honen lurraldea erromatarren garaian, Santiago Seguraren arabera. Fuente: Segura, Santiago. Mil años de historia vasca. Bilbao, Universidad de Deusto, 1997. (Dibujo adaptado por Luis M. Peña).

Les races de bétail élevées sur le versant atlantique sont adaptées à l’humidité excessive du terrain sur lequel elles se déplacent, surtout pendant la saison froide. Dans cet ordre de choses, signalons l’adaptation des races ovines qui, pendant l’hiver, paissent dans des fonds de vallée dont l’humidité rend impropres au cheptel bovin.

Ce versant se caractérise également par l’abondance de pâturages et la faible présence des céréales destinées à nourrir le bétail. La croissance saisonnière de l’herbe a donné lieu au développement de méthodes pour la conservation de cette dernière qui garantissent l’alimentation des animaux pendant la période de repos végétal.

L’élevage stabulé s’est orienté ces derniers temps vers la production de lait, surtout de vache. Cette évolution a été encouragée par le développement à proximité d’importants noyaux de population. Le lait, et sa transformation en fromage, ont constitué également le principal produit obtenu des troupeaux de brebis.

La population rurale est répartie dans des fermes dispersées, ce qui permet de garder les bêtes dans des étables incorporées à l’habitation ou à ses côtés; chaque ferme, dans sa recherche d’une jouissance optimale du milieu naturel, élève toutes sortes d’animaux, les plus importants économiquement étant les vaches et les brebis.

L’activité pastorale a eu un caractère familial; en d’autres termes, le troupeau appartient à une maison qui possède généralement une longue tradition d’élevage des brebis et c’est un membre de la famille qui s’en occupe.

Le versant méditerranéen de Vasconia s’est caractérisé par l’importance de ses terrains communaux, qui restent encore aujourd’hui en grande mesure préservés; leur exploitation continue à se faire de façon communautaire, sous forme d’unions et de syndicats qui regroupent plusieurs localités.

Les différences climatiques par rapport à l’aire atlantique se traduisent dans des distinctions au niveau des types de pâturages et des races de bétail, ainsi que dans l’importance relative des différentes espèces. Dans de nombreux villages de l’Alava et de la Navarre, les chèvres ont été traditionnellement les principales pourvoyeuses de lait pour la consommation domestique.

Dans cette zone où l’agriculture a joué un rôle plus important, les animaux de tir se sont révélés indispensables. La distinction est ancienne entre « le bétail fainéant et le bétail de travail »; ce dernier jouissait en exclusivité d’un morceau de communal proche du village pour qu’il puisse paître et se trouver à portée au moment de l’atteler.

Les chaumes, les grains éparpillés après la récolte, les jachères et les bordures incultes des terres labourées ont constitué des sources importantes d’aliment pour le bétail. La pâture sur les terres cultivées a été un droit des bergers plutôt qu’une concession des agricul teurs; il s’agirait là d’une transition entre l’activité pastorale libre et l’agriculture en régime de propriété.

Le peuplement concentré a débouché sur des formes d’activité pastorale communautaire. Le nombre réduit de têtes de chaque classe de bétail dans chaque maison explique que ce ne soient pas leurs propriétaires qui s’en occupaient; toutes les bêtes du village étaient rassemblées en un seul troupeau qu’un berger embauché à cet effet réunissait chaque matin pour l’amener paître et ramenait le soir. Cette modalité connue sous le nom de dula (ou almaje) s’appliquait autrefois à toutes les classes de bétail et chacune d’entre elles était sous la surveillance d’un berger dulero différent qui portait également un nom différent selon les cas: machero, boyero (bouvier), yegüacero (gardien de juments), cabrero/auntzaia, azeia, bizalero, bizela (chevrier); vaquero/unaia (vacher).

Les mutations contemporaines

Les transformations survenues dans l’élevage des animaux sont dues en grande partie à des modifications plus profondes qui touchent aux modes de vie traditionnels. Aujourd’hui, la population rurale et, en son sein, celle qui exerce une activité d’élevage, sont bien plus réduites.

Ces transformations qui se sont déroulées au cours des dernières décennies ont radicalement modifié le monde de l’élevage, de sorte que celui-ci cessé d’être un mode de vie pour devenir une activité économique.

En lignes générales, on observe une réduction de la diversité des espèces élevées dans le cadre domestique; cette diminution est le résultat du passage d’une économie autarcique à une autre à caractère productiviste. Ainsi, de nos jours, chaque unité familiale élève un nombre moindre d’espèces mais le nombre de têtes de bétail présentes sur une seule exploitation s’est considérablement accru pour compenser la réduction des marges bénéficiaires. En d’autres termes, c’est un phénomène de spécialisation qui s’est produit.

L’élevage domestique de petits animaux (lapins et volaille) a fortement diminué car il s’avère plus économique et moins laborieux d’acquérir ces produits sur le marché: seules se consacrent à cet élevage les personnes âgées ou celles qui apprécient les aliments de production propre.

L’intensification de la production a entraîné une disparition progressive des races autochtones. Celles-ci étaient autrefois rentables en raison de leur adaptation parfaite au milieu physique dans lequel elles s’étaient développées. Aujourd’hui, elles ont perdu leur attrait à cause de leur plus faible productivité face à l’exploitation généralisée d’animaux à hauts rendements. Les races qui survivent encore paissent en liberté dans les zones montagneuses qui ne peuvent être utilisées par des animaux jugés plus productifs.

Moderno establo de ovejas. Izurza (B), 2000. Fuente: Archivo Fotográfico Labayru Fundazioa: José Ignacio García Muñoz.

L’intérêt pour la conservation des races autochtones est récent et semble obéir à des raisons d’ordre culturel plutôt qu’à la préoccupation des éleveurs pour la survie de ces races. C’est au cours de ces dernières années que le concept de race autochtone a été appliqué à divers types d’animaux élevés depuis des temps anciens, baptisés à cette occasion de dénominations inconnus par ces mêmes éleveurs. Seules les personnes contraintes, en raison de leur métier, de se rendre dans des endroits lointains (comme les maquignons par exemple) étaient conscientes de la diversité raciale des différents types de bétail.

Les habitants des campagnes n’ont jamais été fermés aux innovations et se sont toujours efforcés d’introduire des animaux différents de ceux élevés habituellement si cela permettait d’améliorer leurs caractéristiques; mais ils n’ont jamais perdu de vue non plus les conditions que le milieu naturel imposait à ceux-ci.

De nos jours, la composition raciale des cheptels connaît une transformation notable visant à accroître les rendements. En ce sens, l’insémination artificielle a éliminé les frontières en permettant l’incorporation de caractéristiques génétiques appartenant à des animaux lointains sans coûts excessifs.

L’augmentation du nombre de têtes, les exigences de type sanitaire et le besoin de faciliter le travail avec les animaux ont poussé à l’abandon des étables domestiques et à la construction d’installations modernes de grandes dimensions qui reçoivent les noms de pavillons, bâtiments agricoles, stabulations ou hangars.

Dans les vieilles fermes des régions atlantiques, la vie de la famille se déroulait autour d’un foyer situé au même rez-de-chaussée que les animaux. Quelques cloisons en planches séparaient les deux espaces; au fil du temps, ces cloisons se sont renforcées mais les animaux ont continué à partager le même toit. Dans les zones plus intérieures de la même aire géographique, la famille habitait à l’étage supérieur de la maison et tirait profit de la chaleur des étables situées au rez-de-chaussée.

Sur le versant méditerranéen, le peuplement concentré ne permettait pas de garder les animaux dans le bourg ou du moins gênait cette disposition. Les enclos qui leur étaient réservés restaient toutefois à proximité de la maison.

Avec les nouvelles étables, le bétail est passé d’un régime de co-existence avec le groupe domestique à un régime de nouvelle production, souvent intensive. Cette nouvelle situation apparaît même reflétée dans la terminologie utilisée par l’Administration, puisque celle-ci ne parle plus de fermes, d’étables ou d’enclos mais d’exploitations d’élevage.

Artzainaren jeepa. Gorbea, Zeanuri (B), 1988. Fuente: Ander Manterola, Grupos Etniker Euskalerria.

L’alimentation du bétail a fortement évolué; la proportion d’aliments importés de lieux éloignés de l’exploitation est toujours plus importante; cette nourriture, généralement en forme d’aliments composés, provient bien souvent de points très éloignés, ce qui a permis de dissocier en grande mesure l’élevage du terrain auquel il était traditionnellement associé. Ce nouveau système d’alimentation a aussi pour conséquence de permettre l’élevage de certaines espèces dans des endroits qui, de par leur climat et la qualité de leurs pâtures, leur étaient auparavant interdits.

L’intensification de l’élevage a entraîné peu de transformations aussi radicales que celle qu’a connu le fumier. La fumure provenant des animaux domestiques constituait autrefois un élément indispensable pour préserver la fertilité de sols qui apportaient des aliments vitaux dans une économie de subsistance. L’augmentation et la concentration du cheptel bovin ainsi que les nouvelles formes d’exploitation ont transformé le fumier sec d’autrefois en « purins » qui ne servent plus à fumer des terres dont la surface, par ailleurs, s’est réduite. Ce qui autrefois constituait une source de richesse s’est métamorphosé en un grave problème de pollution.

Étable actuelle. Hazparne (L), 2000. Fuente: Ander Manterola, Grupos Etniker Euskalerria.

La mise à disposition de nouveaux aliments pour les brebis a réduit le besoin de déplacer en transhumance les troupeaux d’un lieu à l’autre à la recherche de pâturages pour l’hiver. Ceci dit, dans l’aire atlantique, les troupeaux continuent à paître en hiver dans les prés situés dans les vallées.

Le XIXe siècle a connu une perte importante de terres communales, surtout sur le versant atlantique peninsulaire; et au cours du XXe siècle, de nombreuses montagnes auparavant parcourues par les troupeaux de brebis et autres ont été plantées de nouvelles espèces forestières; de nos jours, la plupart de ces plantations sont clôturées.

Au cours des siècles, les bergers, de par leurs activités, ont donné aux montagnes un dessin auquel on accorde aujourd’hui une grande valeur paysagère; les Administrations se sont souciées de les transformer en parcs naturels afin de les préserver. Mais de telles interventions exercent généralement un effet préjudi ciel sur les propres acteurs de ce remodelage; ils se voient limités dans leur activité et dans leurs possibilités d’évolution; en outre, leur environnement est envahi par des personnes qui essaient de satisfaire en montagne des besoins étrangers à l’activité pastorale. Dans le même ordre de choses, des animaux qui autrefois étaient considérés nuisibles par les bergers se sont convertis, à leur grand étonnement, en espèces protégées.

Le mode de vie pastoral, fondé sur la résidence continue pendant la période estivale dans des cabanes de montagne, a perdu de l’importance. Au cours des dernières décennies, les cabanes ont été dotées d’éléments de confort, comme l’eau courante, l’éclairage électrique, etc.; en dépit de cette évolution, le nombre de bergers qui maintiennent ce mode de vie est toujours plus faible; dans certaines zones, la tendance est de faire aller les brebis en montagne pour qu’elles pâturent dans les zones hautes une fois qu’elles ont cessé de produire du lait; ainsi, la présence du berger pour la traite quotidienne n’est plus indispensable et quelques visites sporadiques suffisent à la surveillance des bêtes. L’ouverture de routes et de pistes pour accéder à la montagne et aux pâturages d’altitude, l’apparition des véhicules tout-terrain ont également contribué à cette nouvelle situation.

Le fromage élaboré avec du lait de brebis est un produit très apprécié actuellement et son élaboration s’accompagne de toujours plus d’hygiène et de qualité; cette qualité, d’ailleurs, est garantie par divers organismes chargés d’attribuer labels et appellations d’origine contrôlée. Sa fabrication ne se produit plus nécessairement dans les bergeries de montagne et n’est plus réservée aux bergers. Les fromageries qui achètent le lait de brebis pour le transformer en fromages qu’elles se chargent de commercialiser sont de plus en plus nombreuses. Certains bergers choisissent cette solution qui leur permet de travailler moins et de ne plus avoir à se soucier de la vente postérieure.

En revanche, la laine, du moins celle des races du versant atlantique, a perdu toute valeur économique. Aujourd’hui la tonte des brebis n’a d’autre objectif que d’éviter un excès de chaleur aux bêtes pendant la période estivale.

Les foires de bétail ne connaissent plus le rôle important qu’elles jouaient autrefois dans l’échange d’animaux. De nos jours, elles laissent la place à l’exposition d’exemplaires de différentes races et aux concours de bétail avec leurs récompenses. Les foires se sont transformées en évènements ludiques à caractère urbain dans lesquels certains éléments relevant de la vie pastorale, comme l’artisanat ou diverses élaborations, font l’objet d’une représentation in situ. Cette folklorisation de la culture pastorale est un phénomène que s’applique également à d’autres activités comme la transhumance ou la montée des troupeaux à la montagne; à cette occasion, ces activités font partie d’une fête annoncée à l’avance destinée à permettre la participation de personnes étrangères à l’univers pastoral.

Les objets utilisés dans la cabane, etxola ou olha, autrefois fabriqués en bois de hêtre ou de bouleau, se sont maintenus en vigueur jusque dans les premières décennies du XXe siècle, grâce à leur bon rendement, puisqu’ils étaient à la fois légers et endurants. L’introduction de matériaux légers comme le zinc et l’aluminium a fini par les faire disparaître. La mise en valeur directe des produits de l’activité pastorale comme le cuir et la laine pour la confection de vêtements et de chaussures n’a pas non plus résisté à la concurrence des produits industriels. Il existe des personnes qui se consacrent à la fabrication artisanale d’outils comme ceux utilisés par les anciens bergers; mais de telles manufactures sont destinées uniquement à des fins décoratives.

L’élevage des brebis résiste mieux à l’implantation des systèmes de production intensive qui ont été imposés aux autres cheptels. Signalons toutefois que les troupeaux comptent un nombre toujours plus important de têtes et que certains bergers ont commencé à les exploiter en régime de stabulation.

Ces dernières années, un dispositif d’aides communautaires a été mis en place pour encourager et soutenir l’intensification de l’élevage stabulé. Ces subventions européennes concernent également l’activité pastorale; leur application donne lieu à des conséquences ambivalentes. D’une part elles permettent le maintien d’élevages peu rentables mais de l’autre elles introduisent des effets de distorsion.

* * *
 

En dépit des transformations que nous venons d’évoquer, il est encore possible de trouver des éleveurs et des bergers qui poursuivent leurs activités selon les modes traditionnels.

Dans une optique ethnographique, il con­vient d’indiquer que, aujourd’hui encore, il est possible de trouver dans un même quartier ou dans la même maison un homme âgé qui a connu une vie de berger ou d’éleveur préser­vée des générations durant et, à ses côtés, un homme jeune qui exerce son activité (par exemple, la production de lait de vache) dans des installations modernes, en s’aidant des techniques les plus avancées. La rupture par rapport à la tradition est évidente: le jeune éle­veur écoutera avec plus d’attention les con­seils de techniciens spécialistes des méthodes agraires que son pére ou son grand-père, en dépit du fait que ceux-ci conservent en mémoire un savoir-faire élaboré pendant des générations. Le résultat culturel de cette rup­ture se trouve sous nos yeux: les éleveurs les plus performants, quel que soit leur lieu de provenance, apparaissent de plus en plus indifférenciés: ils travaillent avec des animaux similaires, des machines identiques et selon des procédures standard.

Toutes ces transformations se sont accélérées au cours des décennies finales du XXe siècle. De l’avis même des éleveurs, le problème le plus grave qui se pose à eux est celui de la perte de contrôle sur l’activité qu’ils exercent. Non seulement ils ne dépendent plus uniquement d’eux-mêmes et de leur capacité de travail sinon de décisions adoptées dans des centres de pouvoir lointains mais encore ils sont pris dans des réseaux commerciaux complexes où leur marge de manœuvre est infime.

Face à cette situation, un certain nombre d’éleveurs qui voient que leur avenir est menacé par un système où leur rôle s’amoindrit chaque jour et qui savent qu’une bonne part de la diversité biologique et culturelle de l’Europe réside dans les zones rurales, font de la résistance. La population rurale n’est pas étrangère aux phénomènes généraux, qu’il s’agisse de la « mondialisation » ou de la prise de conscience écologique. Les graves crises alimentaires qui se sont déclenchées récemment dans l’élevage européen semblent leur donner raison.

Nous pouvons nous demander si les savoirs et les formes de travail traditionnels que nous avons recueillis dans le présent volume finiront par se perdre définitivement ou si, avec le temps, certains seront pris en considération. En fin de compte, ce qui est décrit dans ce tome, le fruit d’une expérience accumulée pendant de nombreuses générations, se retrouve en grande mesure dans un concept d’apparition récente qui s’oppose à l’intensification productive; il s’agit du concept de développement durable.

  1. Cf. José Miguel de BARANDIARAN. «Aspectos sociográficos de la población del Pirineo Vasco» in Eusko Jakintza, VII (1953- 1957) p. 7.
  2. Cf. Cartulario de San Millán, Cartulaire des rôles gascons. Le livre d’or de Bayyonne, etc. Cit. por Haristoy. Recherches historiques sur le Pays Basque. Bayonne, 1883, II, pp. 402-406, 547-551.
  3. Cf. carte dressée par José Miguel de Barandiarán et publiée dans l’Anuario de Eusko Folklore, VII (1927) p. 137.
  4. R. L. TRASK. The history of basque. Londres (Routledge), 1997, pp. 295-303.
  5. Mª Amor BEGUIRISTAIN. «Los yacimientos de habitación durante el Neolítico y Edad del Bronce en el Alto Valle del Ebro», Trabajos de Arqueología Navarra (TAN), 3 (1982) pp. 59-156. A. CAVA; Maria Amor BEGUIRISTAIN. «El abrigo prehistórico del abrigo de la Peña (Marañón, Navarra)» in Trabajos de Arqueología Navarra (TAN), 10, (1991-1992) pp. 69-135. A. ALDAY. «Abrigo de Atxoste-Puerto de Azáceta (Virgala). I Campaña de excavación arqueológica» in Arqueoikuska 1996, pp. 35-46. Idem (1998a): «Abrigo de Atxoste-Puerto de Azáceta (Virgala). II Campaña de excavación arqueológica», Arqueoikuska 1997. Idem (1998b): «El depósito prehistórico de Kanpanoste Goikoa (Virgala, Álava). Memoria de las actuaciones arqueológicas 1992-1993». Memoria de Yacimientos Alaveses 5. Diputación Foral de Álava. J. FERNANDEZ ERASO. (1997): «Excavaciones en el abrigo de Peña Larga (Cripán, Álava)» in Memoria de Yacimientos Alaveses 4, (1997) Diputación Foral de Álava. J. GARCIA GAZOLAZ. «Los orígenes de la economía de producción en el País Vasco meridional: de la descripción a la explicación» In Illunzar 2 (1994) pp. 87-99. Idem. «Apuntes para la comprensión de la dinámica de ocupación del actual territorio navarro entre el VI y el III milenio» in Cuadernos de Arqueología de la Universidad de Navarra 3, (1995) pp. 86-146.