IX. CULTURE DES ARBRES FRUITIERS

De Atlas Etnográfico de Vasconia
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Les fruits ont constitué une part importante du régime alimentaire, du moins chez les informateurs les plus âgés. C'est pourquoi la plupart des maisons disposaient d'un bon nombre d'arbres fruitiers. La stratégie consistait à planter le plus grand nombre d'espèces et, au sein de chacune, de multiplier les variétés afin de garantir un volume suffisant de fruits. En effet, comme la floraison et la maturation se produisent à différentes périodes et ont des limitations diverses, il est difficile que les conditions atmosphériques adverses touchent en même temps tous les arbres.

Les espèces propres aux vergers étaient et restent les poiriers, les figuiers, les cognassiers et les groseilliers. Les noyers étaient habituellement plantés près de la maison, pas toujours au verger mais plutôt dans une petite parcelle proche. Quelques cerisiers étaient aussi plantés dans ces deux types d'espace.

Les pommiers étaient un peu plus éloignés. Ils se plantaient dans des campas[1] (prairies) au sein des llosas[2] et dans des cierros[3] (clos) et des prés généralement situés au-delà des llosas. Mais il se pouvait aussi que quelques pommiers soient proches de la maison. D’ordinaire, la plupart des familles disposaient d'une pommeraie, autrement dit d'un terrain ou d'une prairie qui se trouvait “planté en pommiers”. Dans les campas, ils étaient plantés en bordure et, dans les prés, dans les honderas (fonds) et dans les regatadas (près de cours d'eau).

À en juger par la situation des terrains qui portent des toponymes liés à cette culture et par les souvenirs des informateurs qui ont maintenu leur exploitation dans les décennies postérieures à la disparition massive due au phylloxéra, il semblerait que la distribution des vignes ait été similaire à celle des pommeraies.

Dans les hameaux les plus hauts, proches des montagnes, là où disparaissaient les prés et commençait les terres communales incultes, poussaient les châtaigniers. Ces arbres, surtout ceux qui donnaient des fruits, avaient toujours un propriétaire, même s'ils poussaient sur des terrains ne leur appartenant pas. Il ne s'agissait pas là d'une situation anormale dans la mesure où une bonne part des arbres de rapport nés sur les communaux avait un propriétaire. Les châtaigniers greffés, ceux qui donnent ce fruit si apprécié, poussaient généralement par lots groupés réunissant ceux de chaque propriétaire. De nombreux cerisiers étaient aussi plantés sur ces terrains et surtout dans les siebes ; la plupart étaient non greffés mais, en dépit d'être monchinos, ils donnaient des fruits très goûteux.

Si les informateurs sont interrogés sur les raisons de cette distribution des arbres fruitiers, ils semblent accorder plus d'importance à la proximité des espèces dont il fallait ramasser les fruits fréquemment pour leur consommation qu'à la surveillance pour éviter les vols. Ils disent que ceux-ci n'étaient pas courants car la plupart des voisins disposaient de fruits en abondance et parce que le troc était une pratique généralisée entre les maisons. Le troc permettait même une meilleure valorisation des fruits périssables, car si leur consommation se limitait à la maisonnée une partie inévitablement pourrissait. Le fait qu'un voisin cueille ou ramasse un fruit pour le manger sur le chemin n'était pas considéré comme un vol. Au maximum, on demandait la permission au propriétaire s’il était par là et la réponse était toujours affirmative, du type “prends ce que tu veux”.

L'activité de cueillette déprédatrice, parfois considérée comme du vol, se limitait aux bandes d'enfants et d'adolescents dont les fruits préférés entre tous étaient incontestablement les cerises.

La culture des arbres fruitiers a connu d'importantes vicissitudes. Dans les territoires de la zone étudiée où s'est produit un remembrement, le nombre d'arbres fruitiers a fortement baissé, car l'habitude voulait qu'ils se plantent près des limites des propriétés. L'unification des parcelles pour en créer de plus grandes a eu pour conséquence qu'ils se sont retrouvés au centre des celles-ci et qu'ils ont donc été éliminés.

La spécialisation progressive vers l'élevage, sur le versant atlantique et, sur celui méditerranéen, vers les céréales, a également contribué à leur recul.

Comme nous l'avons déjà indiqué, quand les pommiers se concentraient sur une propriété jusqu'à former une pommeraie, seules les brebis étaient autorisées à venir y paître. Son herbe pouvait également être mise à profit par une coupe en vert. Les vaches n'entraient pas dans le clos tant que les arbres avaient des feuilles afin qu'elles ne les endommagent pas, et encore moins quand ils étaient chargés de pommes car les vaches couraient alors le risque d'avaler une pomme et de s'étouffer. Si la pommeraie offrait encore de quoi pâturer en octobre-novembre, une fois les fruits ramassés et les arbres sans feuilles, on les y laissait paître parce que “no le hacen caso a les quimas” (elles ne font pas attention aux rejets).

Le risque d'étouffement augmentait quand la vache mangeait les pommes sur l'arbre car en raison de la position de la tête une pomme se coinçait plus facilement dans sa gorge que si elle la saisissait par terre. Si elle mangeait trop de fruits, par exemple quand le sol était rustrido ou jonché de pommes après un coup de vent, il existait un autre risque : que les pommes fermentent dans sa panse sous l'action de la microflore digestive que ces ruminants possèdent et qu'elle se soûle. La vache présentait alors un comportement anormal pouvant aller jusqu'à rouler par terre sans pouvoir se relever. La soûlerie disparaissait sans séquelle, mais elle laissait une complication indésirable dans un fort recul de la production de lait. Comme les vaches ont un comportement addictif avec ce fruit, on faisait toujours attention à cette complication lorsqu'arrivait la saison des pommes[4].

La spécialisation a aussi entraîné que les agriculteurs ont disposé de moins de temps pour soigner les arbres arbres fruitiers. Ainsi, ceux qui ont échappé à la coupe après le remembrement et l'augmentation du nombre de vaches ont progressivement vieilli sans recevoir le moindre soin et sans que personne ne se soucie de cultiver d'autres pommiers pour remplacer ceux qui peu à peu séchaient sur pied.

Ces considérations sont communes à d'autres villages. La baisse du nombre d'arbres fruitiers est également due à la moindre nécessité d'autoconsommation de fruits lorsque ceux-ci sont apparus sur les marchés accompagnés de nouveaux fruits en provenance de cultures lointaines.

Actuellement, la situation a considérablement évolué avec la transformation des habitudes de consommation liée à la mondialisation croissante (des arbres aujourd'hui cultivés comme le kiwi ou le kaki sont exotiques). La consommation de fruits est très variée, ainsi que la culture des arbres dans le cadre des conditions climatiques existantes.

Les fruits sont consommés frais, transformés (par exemple en dessert : pommes cuites ou compotes), en conserve (au sirop, marmelades) ou sous forme de jus fermenté (cidre, vin et dérivés).

  1. Terrain destiné à une prairie au sein d'une llosa, habituellement dans la partie la plus éloignée de la maison.
  2. Ensemble de terrains de labour et certains aussi de pâturage, de faible surface et appartenant aux habitants d'un hameau, clos par une enceinte et commun à tous.
  3. Terrain communal clos par un particulier contre redevance payée à la commune, destiné dans la plupart des cas à être transformé en pâturage.
  4. Les layas ont été conservées à la maison bien après qu'elles ont cessé d'être utilisées pour labourer la terre, précisément pour essayer de sauver les vaches en train de s'étouffer. Après avoir ouvert la bouche de l'animal, on y introduisait les deux dents de la laya pour l'empêcher de se refermer et une personne avec une petite main et un bras mince essayait de retirer la pomme coincée.