Paysages d'Iparralde: trois regards
Le Pays Basque que l’on se plait à dépeindre comme une sorte d’énigme, ayant grandi à l’abri du monde, fut toujours un lieu de passage et d’échange. C’est là un paradoxe sur lequel les géologues tentèrent de jeter quelque lumière et que nous allons préciser au travers de 3 grandes rubriques.
1) Mendigaina c’est la “montagne”. Elle inscrit son histoire dans celle de la longue “zone primaire axiale”, de 100 à 150 km de large, qui s’étire sur plus de 400 km, de la Provence à la Galice. Ses grands sommets proviennent du vieux socle hercynien érodé il y a quelques 250 millions d’années. Ce socle formait l’ossature d’une grande chaîne qui culminait alors dans la Pangée, le supercontinent qui devait occuper plus des 2/5 du globe. La théorie de la tectonique des plaques suggère qu’il était issu du regroupement temporaire de plaques tiraillées par les courants de convection parcourant régulièrement un magma visqueux composant la surface du manteau sur lequel elles reposent.
Il y a 150 millions d’années, ce supercon - tinent se fragmenta et finit par donner quelques dizaines de ces plaques actuelles qui ont de 50 à 150 km d’épaisseur et qui continuent de dériver de 1 à 10 cm par an sur le magma, et ce de façon interdépendante. Vagabondage des plaques et façonnage des masses continentales ainsi que des profils des bassins et des océans, changements climatiques et bouleversements écologiques... Nous placerons ici le début de notre histoire vivante.
Dans le piémont du massif hercynien, que l’érosion ne cessait de démanteler, s’achevait il y a 280 millions d’années, la longue période chaude du carbonifère. Elle avait favorisé l’expansion de forêts luxuriantes, parsemées de marécages. Les premiers vertébrés tétrapodes en étaient les hôtes. Souvenir de ces époques lointaines, ces dépôts de maigre charbon exploité dans le massif de Larrun.
Il y a 200 millions d’années, régnait un climat sec et quasiment désertique. La vieille chaîne était arasée, les débris arrachés et transformés s’accumulaient sous forme d’argilites (des argiles gréseuses contenant du fer oxydé), en compagnie de poudingues et de sables convertis localement en “grès rouges” (la “pierre de Larrun”). Le ruissellement aidant, tous ces sédiments vinrent combler les dépressions des reliefs du piémont lequel se convertira peu à peu en un paysage de molles collines. C’est vers ces époques que les plaques eurasienne et ibérique ménagèrent entre elles une fosse (un rift) dans le mince plancher duquel perçait du magma sous-jacent.
100 millions d’années plus tard, un climat chaud avait fait fondre les calottes glaciaires, une mer tiède avait envahi les jeunes continents, favorisant des peuplements de coraux, de rudistes... dont les squelettes édifièrent de forts récifs que les vagues démantelèrent. Il en résulta notamment une boue calcaire qui durcit en de puissants bancs, comme cette large veine qui s’étire de Zuberoa en direction de l’ouest où l’on dénombre de nombreuses carrières. En Arberoa le calcaire schisteux du crétacé, comprimé en un bourrelet arqué et brisé au contact des vieux massifs primaires qui étaient poussés vers le nord, est à l’origine d’un sol propice à l’agriculture. Tous ces calcaires ne cesseront d’être érodés. Leurs cavités furent fréquentées dès la préhistoire (Izturitze, Xareta...).
A ces époques l’océan atlantique s’ouvrait de plus en plus, repoussant les futurs continents américain et européen. Au crétacé terminal le Golfe de Biscaye était ouvert et parcouru par le grand canyon de Capbreton qui soulignait l’affrontement des plaques ibérique et eurasienne. Cette dynamique s’inscrivait dans un contexte de séismes, de failles, d’effondrements, etc., alors que les continents qui prenaient forme étaient érodés par les vents, la pluie, les glaciers, le gel, etc.
Le démantèlement de la chaîne hercynienne avait produit des grès rouges, des sables et des argiles. Des flyschs les recouvriront en s’accumulant sur des kilomètres d’épaisseur, dans une fosse marine encadrée par une large ouverture vers l’ouest et vers l’est par la grande faille de Pampelune qui courait en direction N-E/S-W et qui ne cessa d’orchestrer les morphogenèses de ce secteur ; ces deux longs bords étaient constitués par ce qui deviendra la Galice et l’Armorique. C’est là que tous ces matériaux accumulés et non encore solidifiés, furent repris lors du cycle alpin. Ce cycle qui s’amorce, s’il verra l’orogenèse des Pyrénées actuelles, affectera un très large secteur en s’étendant vers les Alpes, le Caucase et au-delà. Cette érection entrainera le vieux socle hercynien érodé. C’est ainsi que de vieux grès rouges et des poudingues occupent actuellement le sommet de Larhun, un massif fortement déversés vers le nord lui-aussi, comme tous ces témoins de l’ère primaire.
Les mécanismes évoqués, reposent sur des collisions engendrant compressions et plissements, relayent des coulissages et des rotations des deux plaques. Ils sont des plus complexes. A l’est de la faille de Pampelune, la plaque ibérique glissera sous le front de l’eurasienne. A l’ouest au contraire, c’est la croûte océanique qui s’enfoncera dans le manteau, sous la plaque ibérique.
Nous sommes dans l’ère tertiaire, les Pyrénées sont en pleine croissance. Le climat finira par se refroidir considérablement, il annonce ces glaciations qui furent contemporaines de l’installation humaine, témoin d’une partie de cette dynamique par le biais des tremblements de terre souvent dévastateurs (Arette en 1967 puis Arudy 2014, etc.).
2) Mendizola ou le bas pays. Au Pays Basque cette chaîne, qui est fondamentalement un bourrelet de la plaque ibérique, finira par être recouverte en partie de sédiments où dominent schistes calcaires et flyschs. Ainsi, après le pic d’Anie, le pic d’Orhi est le dernier sommet de plus de 2000 m; il est visible depuis Bayonne. Cet abaissement des reliefs (900 m à Larhun) conjugué à une tempérance climatique, a autorisé une forêt aux essences variées, propres à cet étage montagnard où cohabitent, non sans tensions, une large palette d’activités sylvopastorales des plus anciennes.
“Moins élevé, le relief est aussi plus pénétrable. Les Pyrénées cessent de former une masse compacte pour se résoudre en petits massifs entre lesquels s’ouvrent des vallées et s’étalent de petits bassins où l’on circule facilement” (Taillefer). En effet ce faible relief sera dominé par les sommets érodés du socle primaire entouré d’auréoles de roches métamorphiques ; ils réapparaissant par endroits (dès le début du crétacé, avait vu Lamare). En fonction de leur hauteur, on a : Aldude (1600 m près d’Orreaga), Mendibeltz, Iguntze, Urtsua, Larhun-Bortziriak (800 m); le gneiss de l’Urtsua étant le plus ancien. Ils dominent un pays où Viers a pu esquisser les profils de l’Amikuze, Arberoa, Ortzaize, Baigorri et Garazi.
Partant de Zuberoa vers kostaldea, ce lacis de petites hauteurs ne présente “aucune direction d’ensemble, mais un dédale de couloirs resserrés et sinueux” (Lamare –voir Dupré-Moretti–): 1) il se raccorde à de profondes entailles dont certaines débouchent dans des ports faisant communiquer Iparralde et Hegoalde; 2) il va s’effaçant au-delà de l’Adour, de ses barthes et de ses terrasses quaternaires pour se perdre en direction des hautes Landes, les sédiments du Bassin Aquitain étant ici peu perturbés car déposés à la suite de l’orogenèse tertiaire; 3) il est limité à l’ouest par une ligne de rivage dominée par le flysch et ses produits de décomposition que la houle et les tempêtes, conjuguées aux ruissellements et aux infiltrations, n’épargnent pas.
Mendizola est typiquement le pays des “Pyrénées tièdes et humides”. Ici, mais surtout dans la partie qui tutoie la montagne, se déploie largement un écosystème résultant de l’action de l’homme ayant détruit la forêt première qui faisait dire au pèlerin du XIIe siècle : “cette terre, à la langue barbare, est boisée, montueuse” (Lauburu). Le paysage qui a pris forme au cours de l’histoire, c’est celui de la lande (larrea). Sèche ou humide, sa qualité est également liée à la nature des sols. On l’entretient par brûlis (lur-erretzea), on contrôle son développement. Cet écosystème est diversifié (landes à ajoncs et parfois à bruyère, dérivant en lande à fougères – voir Lauburu). Parsemé d’arbustes et de taillis, ce milieu était traditionnellement dévolu au pacage communal ouvert, aux fougeraies, à la collecte de la litière, à l’établissement des borda... Son emprise ne cesse de s’équilibrer avec celle de la forêt et des bosquets, de l’agriculture, des prairies, des modes d’élevage et, d’une façon générale, celle des défrichements (lurberria). Piquetée de types de borda, d’etxe et de petits auzo, c’est une œuvre de civilisation, un trait d’union toujours actuel entre milieu et peuplement. C’est ainsi qu’elle fait l’objet d’une surveillance attentive au niveau européen, dans le cadre du réseau Natura 2000.
Si le Pays Basque de ces basses collines que l’homme ne cesse de revisiter (Lauburu) est pénétrable de partout, kostaldea “reste la grande voie de passage” (Taillefer). Libre d’obstacles naturels, dans ses ports, aménagés, comme dans les criques et les embouchures, s’installèrent très tôt, marins, constructeurs de navires, chasseurs de baleines... De là partirent bien des explorateurs. Mais le relief n’est pas tout, Lamare souligne qu’autrefois on se déplaçait par des “chemins de crête: il y a là un état de choses anormal, propre aux montagnes basques, état qui, remarquons-le, favorisait l’habitant au détriment de ceux qu’on appelle, aujourd’hui encore, des ‘étrangers’ ”.
3) Cours d’eau et érosions. Divers cours d’eau irriguent, ravinent et sculptent un pays où les étendues d’eau sont rares. On ne saurait pour autant faire l’impasse sur ces fragiles tourbières, souvenirs de l’ère quaternaire, elles jouent un rôle régulateur bien connu et indispensable dans le cycle de l’eau.
En Haute-Soule, l’imposant relief ne fut qu’en partie façonné par des glaciers. L’érosion fluviale y a sculpté des gorges étroites dont celles de Kakueta et de Holzarte, comme de pui - ssants canyons à l’exemple de ceux d’Arphidia et Ehüjarre. Descendant de cette haute montagne, le Saison rejoint les gaves pour grossir l’Adour qui, elle aussi, prend naissance dans les hautes Pyrénées. Sa vallée est orientée selon le grand axe du Pays de Soule. En aval de Liginaga, il est bordé par de fertiles terrasses, qui étaient autrefois réservées au système des elges.
Les rivières jouèrent un rôle économique important, par la force motrice de l’eau, par les petits ports et par les chantiers navals édifiés vers leur embouchure (Azkaine, Donibane, Baiona...), etc. Les riches terrasses de l’Adour et de la Nive possèdent des barthes, d’autres sont des terres à vocation agricole. C’est ainsi que les larges terrasses de la Nive connurent la culture du maïs, une trentaine d’années après la découverte officielle du Nouveau-monde par Colomb. En Amikuze la dépression alluviale accompagnée de schistes, a donné des terres fertiles (lur beltza) qui ont fait que ce pays a pu devenir une terre d’innovation agricole.
Des rivières furent de véritables voies de pa - ssage et de transport. La Nive par exemple, dont le bassin est le plus important d’Iparralde, a drainé de tout temps une palette d’activités débouchant au port de Bayonne; un réseau de voies la doublait se déployant vers le Baztan, la Vallée de Baigorri, tout en se ramifiant vers Irisarri, etc. Dans cette optique, des cours d’eau sont liés au peuplement. Ainsi l’Aran qui joua un rôle clef dans la fondation de Bastida en 1288.
En résumé, ce sont deux orogenèses successives et intriquées, combinées à l’ouverture océanique, modulées par tout un cortège d’accidents majeurs et d’évènements mal connus, qui sont pour beaucoup dans la singularité géologique de notre pays. A cela il faut ajouter une riche irrigation, principal agent d’un remodelage continuel où se conjuguent retombées climatiques et action humaine qui ne cessent de varier.